mercredi 6 décembre 2017

A propos d'un Tilleul...

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« A Paris, ma fenêtre donne sur un jardinet adossé au parc voisin dont la frondaison est majestueuse. Ce jardinet a pour âme un tilleul. Grâce à la pluie abondante au printemps, l’arbre atteint, quand vient l’été, une forme de plénitude inouïe. Les amis qui passent chez moi, invariablement, poussent un « Oh ! » d’émerveillement et surtout d’étonnement. Comment se fait-il que la terre, qui venait du Chaos, ait généré un arbre comme celui-là, en son ovale parfait composé d’innombrables branches, rameaux, feuilles et fleurs dont le foisonnement, loin de se répandre en désordre, obéissent à un constant souci d’entente et d’harmonie, faisant de lui une figure emblématique de beauté ? 
Comment ce tronc droit, apparemment modeste, a-t-il pu porter, calme et confiant, cette magnifique corolle de feuillage, pleine de noblesse, d’une gloire presque trop écrasante pour lui ? 


Il a fallu qu’à partir de lui, chaque branche croisse et respire selon sa poussée interne, tout en ayant souci d’orienter sa courbe vers un centre, dont la force centripète assure à chaque instant à l’ensemble des branches une juste répartition d’air, de lumière et de sève. Une présence organique, faite de frémissante interaction, s’affirme là. Pour peu que passe un brise, la voilà qui entre dans sa rythmique, opérant une sûre brisure dans l’espace, un Ouvert où le fini et l’infini sont en perpétuelles épousailles. Une volonté la soutient, cette présence, une intention l’habite. Fontaine au jaillissement continu, elle n’est plus que donation et accueil. Elle distribue sans réserve ombres parfumées et éclats nourriciers à ceux que ses ondes attirent, oiseaux migrateurs, errants humains.


Le lien entre l’arbre et les oiseaux semble naturel. Mais l’alliance de l’arbre avec les hommes est-elle assez prise en compte par nous ? Sommes-nous conscients que nous ne pouvons trouver dans la nature compagnon plus fiable et plus durable ? Cet être « debout » comme nous, qui depuis les profondeurs du sol tend résolument vers le haut nous rappelle que notre être tient tout autant de la terre que du ciel. Prenant appui sur sa base de lave, d’humus ou de limon, il s’épanouit en un véritable entonnoir  pour boire la pluie tombée du ciel et, venu de plus haut encore, pour boire le souffle lumineux dont tout l’univers est animé. Il arrive qu’au cœur du désert, où à l’horizon d’une plaine, se dresse un arbre seul. Cela suffit aux nomades que nous sommes pour que nous ne nous sentions plus seuls, pour que la création ne nous semble plus vaine. »


François CHENG, « De l’âme »

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